L’Ange déchu

Cabanel L'ange déchu

Cabanel Alexandre

(Montpellier, 1823 – Paris, 1889)
L’Ange déchu, 1847
Huile sur toile
121 × 189,7 cm
Inv. 889.2.1

Provenance : Don Barthélémy Cabanel, 1889.

Historique : peint à la Villa Médicis de 1847 à 1848 comme second envoi de Rome ; Paris, collection de l’artiste ; Paris, galerie Georges Petit, vente Cabanel, 22-25 mai 1889, n° 70, sans doute racheté par la famille ; don de Barthélémy Cabanel, frère de l’artiste, au musée Fabre, 1889.

 

LOCALISATION

Passé par l’école des beaux-arts de Montpellier puis par les Beaux-Arts de Paris (dans l’atelier de Picot), Cabanel remporte en 1845 le second grand prix qui lui ouvre les portes de la villa Médicis à Rome. Il doit se soumettre comme ses camarades à des exercices obligatoires – les envois de Rome –, pour qu’à Paris les académiciens puissent juger de ses progrès. 


Après l’immense Oreste en 1846 (Béziers, musée des Beaux-Arts), le jeune pensionnaire se tourne vers un sujet rarement abordé par les peintres, tiré de la Bible (Ézéchiel, Isaïe, Apocalypse de saint Jean) mais repris à l’époque moderne par le poète John Milton dans son Paradis perdu (1667). Cabanel commente lui-même le sujet qui le hante dans une lettre adressée à son ami et mécène montpelliérain Alfred Bruyas : « Je mets en scène deux natures, deux races, l’une inexorablement vouée, prédestinée au mal et au malheur, enfin à tomber ; tandis que l’autre chaste et pure s’élève radieusement vers Dieu en le glorifiant. Or, le principal motif de mon tableau est le génie du mal, Satan ! Sur qui, jadis, Dieu s’était complu à répandre les grâces de la beauté divine ; aujourd’hui puissance brisée courbant la tête devant son créateur et maître, de qui il avait osé se faire rival. Il cache la honte de sa défaite cependant, toujours fier, désespéré, vindicatif.

On voit dans le fond du tableau, qui parcourant l’espace [sic], une légion d’anges se berçant dans les airs avec bonheur et ravissement en chantant la gloire de Dieu. Cette opposition de bonheur qui rappelle à Satan sa splendeur passée est à peu près le sujet du tableau. Le tout m’offre des incidences assez poétiques à rendre. » 

 

Fidèle à la leçon de l’antique (Torse du Belvédère) et des grands maîtres de la Renaissance (Michel-Ange, Raphaël), Cabanel installe sa figure de grandeur naturelle tout près du rebord de la toile et l’immerge par contraste dans un paysage éthéré, presque abstrait, tout en harmonies de gris et de bleu lilas. L’effet est saisissant avec l’aile sensuelle servant de couche et le visage ténébreux à demi masqué par le bras droit. Le maniérisme de la pose, la recherche obstinée d’originalité, le pathos fiévreux déplurent aux membres de l’Académie qui se montrèrent quelque peu effarouchés par l’esprit d’indépendance du peintre. « Enfin je suis pour eux maintenant une espèce de renégat de leur école », confie-t-il encore à Bruyas. 


Juste retournement des choses, ce tableau de jeunesse compte aujourd’hui parmi les créations les plus fascinantes et populaires de cet artiste promis à un brillant avenir.