Jeune Hollandaise versant à boire

À la fin des années 1640, Ter Borch peint des scènes de taverne et de corps de garde, sujets souvent traités par Adriaen Brouwer (vers 1605/1606-1638) et David Teniers le Jeune dont il a pu voir de nombreux exemples lors de son passage en Flandres. Ce tableau important constitue le point de passage pour Ter Borch entre ses scènes populaires et ses scènes mondaines et élégantes qui feront sa renommée : en effet, il adopte déjà la formule des personnages vus à mi-corps dans un cadrage resserré et le fond neutre qui... ne disperse pas l’attention sur des accessoires, réduits ici à une table et des couverts. Cette économie de moyens était très novatrice et a marqué de nombreux peintres, de Frans van Mieris à Johannes Vermeer (1632-1675). La jeune servante de taverne – ou de bordel – sert à boire et a certainement enivré le soldat endormi que regarde avec un sourire moqueur le troisième larron (ce personnage est d’ailleurs apparu sous un grand repeint lors d’une restauration en 1997) : le dormeur a bu et fumé – on voit une pipe blanche en écume sur la table. L’action narcotique du tabac et de l’alcool était mise en cause par les moralistes et cette peinture a pu être vue comme une mise en garde contre l’intempérance. Mais elle est avant tout un plaisant jeu ironique sur la psychologie des personnages. L’expression de la jeune servante est séduisante mais énigmatique : se réjouit-elle d’avoir joué un tour à son client, d’avoir vidé avec lui le pichet, de se servir à boire ? L’homme debout est-il son comparse ? C’est d’ailleurs l’une des premières fois que Ter Borch peint une figure regardant par-dessus l’épaule d’une autre, suscitant de fait chez nous l’impression d’assister à la scène. Le col ouvert du pichet qui intrigue au centre de la composition, la facture souple et très enlevée du costume au coloris subtil de la servante, son profil rayonnant font de ce tableau un chef-d’oeuvre.